Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Armoise
3 août 2008

" A quatre pattes " Emilie Stone

Emilie Stone,

Trente es un ans, est journaliste à Cosmopolitan (France), chargée des rubriques société et « psycho » depuis neuf ans. Elle aime les rencontres, les livres les nouvelles technologies, la plongée sous-marine et le ping-pong à l’ombre. Pomme Q, son premier roman, a été publié aux éditions Folenre Massot Présente.

            Pour une chienne, je suis ouverte d’esprit. Je ne me laisse pas prendre par le premier à priori qui passe. N’empêche, ces chiens de garde : les crevures. Je ne dis pas ça parce que je suis dans une cage du mauvais côté des barreaux. Non, je dis, ça parce qu’en tant que matériel vivant de laboratoire, j’ai du temps pour l’observation. Quand un commando antivivisection arrive enfin jusqu’à nous, les bergers allemands attaquent. Au lieu de nous aider en faisant les sourds, ces brutes se jettent avec leurs mâchoires pleines de dents sur ces bipèdes bourrées de bonnes intentions. Il faut dire aussi que la peur est une véritable salope. Elle fait faire n’importe quoi à n’importe qui. Ces derniers mois, les bergers font du zèle. Pourtant, ils ne sont guère que les chiens de leurs maîtres, qui ne sont que des gardiens de labo. N’empêche, ils font du zèle, et le zèle, on n’est jamais obligé.

            C’est simple, ces chiens-là ne sont plus des animaux, ce sont des alarmes vivantes. Sans eux ; il y a longtemps que je serais partie : les gardiens humains lapent tellement d’alcool que si les chiens les laissaient faire, leurs 35 heures, ils les ronfleraient. Il faut dire qu’eux non plis, ils ne sont pas tellement heureux d’être là. Comme si trop près d’une cage, c’était toujours la prison. Pour mieux supporter leur die de gardiens, ils s’affalent dès qu’ils peuvent autour de leur boîtier lumineux. Ils ont deus programmes préférés : celui avec les bipèdes en caleçons qui courent après un ballon rien qu’avec leurs pieds, et celui avec des bipèdes nus en train de se grimper dessus de tout leur corps. Les films sans ballon, les gardiens les regardent aussi avec leur sexe qu’ils sortent de la poche à fermeture que les mâles ont au milieu du corps. J’en mettrais ma queue à couper : dans ces moments-là, Jane Fonda Jeune pourrait venir nous chercher nue sur l’âne de Brigitte Bardot sans l’ombre d’un flip. Sauf que les chiens de garde, eux, ne se laissent pas endormir comme ça, par des seins animés…

            La rumeur dit que les bergers allemands auraient peur pour leur emploi, les patrons de bar échangent leur chien contre des caméras de surveillance semi-pro, et les pitbulls, ont prouvé qu’on pouvait faire beaucoup plus méchant. Des cas de dépression canine ont même été recensés. Les humains ont tout de suite pensé antidépresseur. Mais le Prozac ne prend pas toujours sur les têtes de chien. Rintintn, le plus zélé des salauds, le préféré des gardiens, s’est jeté du balcon un jour de match PSG-Manchester, après plusieurs semaines de traitement. Pourtant, le PSG avait gagné. Alors les bergers furent examinés un à un par un psychologue pour chiens. Le pro a conclu que le problème était «  d’ordre humain ». Evidement, le psy ne parlait pas le berger allemand, et n’avait pas saisi non plus le syndrome du pitbull. Mais comme c’était un psy femelle, elle eut le cran de pousser un coup de gueule. Elle à rappelé aux gardiens que les chiens étaient les meilleurs amis de l’homme en général, et des gardiens en particulier, et qu’avec des amis, il y avait d’autres choses à faire que travailler et regarder la télévision. Le psy fit une ordonnance collective de foot réel, de diète télévisuelle, et recommanda la venue dans la meute de femelles en chaleur. Le moral remontait.

            Pour dire la vérité, l’équipe des humains chercheurs n’a pas toujours l’air très bien non plus. Surtout le matin. C’est vrai, ça ne doit pas être facile tous les jours de venir s’enfermer ici, pour calculer notre douleur. Surtout depuis qu’ils ont décidé de murer les fenêtres, pour ne pas trop tenter les passants d’organiser leur indignation. Parfois, parce que c’est l’anniversaire de survie d’un des chercheurs, parce que la lettre de renouvellement de subvention est arrivée,  ils essayent de faire bande d’humains ravis de torturer des animaux ensemble. Mais pour y croire, ils font comme les gardiens : ils sont obligés de s’introduire par voix orale de l’alcool raffiné, par bouteilles entières… Ils devraient essayer les os.

            Il faudrait que j’essaie ce liquide. Dès les premiers centilitres, les humains se mettent à rire, la manière bipède de remuer la queue. Et les humains ne remuent pas la queue tous les jours. Mais l’effet ne dure pas. Le lendemain, les chercheurs reviennent, encore un poil plus pâtes, en traînant la patte. Comme si leur corps n’aimait pas ce que leur tête adore. Au lieu de s’acharner sur les animaux, ils pourraient se pencher sur leur genre à eux. Les humains ont encore beaucoup de problèmes : ils n’ont que deux pattes, un odorat sous-développé, de moins en moins de poils, une longue très compliquée, une queue ridicule et plein de problème psychologiques… Pourquoi n’essayent-ils pas la vivisection ?

            Je ne vois pas en tant que bâtarde bien sous tous rapports ce que je viens faire dans ce trou. Robe blanche, yeux de biche, jambes galbées, truffe humide… « Un sosie de Milou » a même trouvé un bipède. Ce qui m’a empêchée de hurler de joie, c’est que le compliment est sorti de la gueule du laborantin qui prépare depuis plusieurs années les opérations à cerveau ouvert. En même temps, il a raison : j’aurais dû faire chienne de cinéma, ou au moins cover-girl chez «  30 millions d’amis ». Mais je suis née dans ce labo, ce qui une mauvaise idée quand on a quatre pattes. En plus, animal de laboratoire ce n’est pas un métier, ça ne mène nulle part : on rencontre très peu de gens, on n’est jamais invité nulle part, et on a beau être bête, on comprend assez vite que notre dernier jour ne va pas être un pique-nique. Mais l’angoisse n’empêche pas la réalité : la probabilité qu’un réalisateur passe et flashe devant ma cage de banlieue parisienne est en dessous de tout. Et pendant que Snoopy,  Dingo, Gromit, le Belle et le Clochard squattent les écrans, moi, je risque mes poils dans ce laboratoire, pour pas un euro, incognito et dans une odeur abominable. La peur, ça pue. Et ici, on a tous peur.

            Mais j’ai plein d’amis : des singes, des rats, des lapins et des chiens qui ont raté

la SPA.

Entre

nous, entre condamnés à morts, on parle beaucoup philosophie. Surtout depuis l’arrivée des clonés. La cohabitation avec un chien-rat, son pote lapin-gorille et dix moutonnes complètement clones, nous fait gamberger. Ce n’est pas humain comme les problèmes ce compliquent avec le progrès. Un jour attiré par une rate plantureuse, le lendemain par un lévrier afghan mâle, la vie des clones s’annonce pleine de rebondissements. « Entre moi et mon clone, il faut choisir », aurait balancé Dolly, la star des brebis clonées, à son petit ami qui confondait souvent. Les chercheurs ne se rendent pas bien compte : les tests font des ravages dans les couples. « 125 », un copain rat, hyper bien foutu, a été sélectionné pour essayer une molécule antigras. Gavé dans un premier temps, il a doublé de volume. Logique. Pas de chance, il a eu le droit au programme placebo. En sachant son mari déformé à long terme, « 214 », sa rate, l’a abandonné. De chagrin, il se serait bien suicidé, mais les bipèdes l’ont piqué avant. La vie de laboratoire est un court ruisseau putride et les électrodes sur la tête n’aident pas à faire le point.

            Mais je m’occupe. Ce n’est pas que je sache lire, mais Queen Kong, le singe nain qui squatte l’épaule droite du directeur de labo, si. Les bipèdes ne sont pas au courant, mais Queen Kong a lu aussi ce que l’on réserve aux singes trop savants : alors devant eux, il fait l’analphabète. A moi, il fait la lecture. Je l’aime beaucoup Queen Kong, dommage que ce soit un singe. En ce moment, il me lit «  Le Bonheur en 10 leçons » qu’une stagiaire très déprimée a laissé au labo. C’est comme ça que j’ai appris que les humains aussi avaient une chienne de vie. Il faut dire qu’ils n’ont pas de chance : ils savent toute leur vie, qu’à la fin, ils meurent, mais pas quand.

            C’est Queen Kong qui nous tient aussi au courant des projets tordus des bipèdes chercheurs. Seulement, le singe nain ne peut que nous alerter, pas nous sauver. L’animal a déjà avalé plusieurs disquettes, mais ses compétences en informatique s’arrêtent là. C’est Queen Kong qui m’a prévenue que la date de mon opération était avancée. Des subventions importantes pour le labo en dépendaient. Et l’argent pour les humains, c’est comme moi avec les os : ça motive, on n’en a jamais assez, et dès que quelqu’un nous en promet, on est prêt à tout, à donner la patte, faire le beau, se coucher. S’il y a du pognon en jeu, je ne vois pas très bien ce qui pourrait empêcher mon opération. Enfin, si, plus de pognon. Mais je suis très bête : je n’au rien sur mon compte en banque, d’ailleurs je n’ai pas de compte en banque.

            Queen Kong avait raison. Hier, Patte Trique (les humains se donnent des prénoms ridicules), le plus regardable de l’équipe des mâles humains, est venu me faire un câlin à deux heures du matin, avec des yeux humides. En temps normal, j’en aurais fait des bonds de joie, j’adire ses pattes agiles à cinq doigts, elles caressent très bien. Mais là, je n’arrivais pas à ronronner. Ce jeune homme de même pas cinq ans (il faut multiplier par 7 pour les humains), brillant et diplômé, ne se faisait pas à son travail : il aimait vraiment les animaux. Elevé au MIT (Massachusetts Institute of Technilogy. Laboratoire de recherches très renommé. (N.d.E.)), jusqu’ici il ne greffait que des ordinateurs sur d’autres ordinateurs. Patte Trique était venu en France, pour tenter la même chose sur les cerveaux d’animaux. Pour faire court, si cet homme est à quatre pattes aux pieds d’une chienne, c’est qu’il y a de l’exceptionnel dans l’air. Et pour une fois, j’ai peur de ne pas avoir tort. Patte Trique, végétarien convaincu, me supplie d’avaler de superbes morceaux de bœuf sain : comme il a l’air d’y tenir, j’en croque. Mais le sale pressentiment agrippé à ma gorge empêche le plaisir de passer. « Ne t’en fais pas, tout va bien se passer. Il y a toujours une chance que ça marche, tu sais… » qu’il me miaule. J’espère que ça lui a fait du bien de me dire ça, parce que moi pas tant que ça.

Puis sa poche a vibré : c’était son portable avec sa bipède domestique à l’intérieur qui lui demandait de rentrer se coucher. Comme il est très gentil mais humain quand même, il m’a embrassée, et puis il est parti.

            Tout  le monde animal du labo aussi a entendu le vent du boulet souffler au-dessus de ma chienne de vie. Pour faire quelque chose, depuis que Patte Trique a quitté la pièce, je hurle à la mort, peut-être dans l’espoir de m’habituer à elle. Si j’avais su, je crois que je me serais organisé une crise cardiaque.

            Je ne sais pas si c’est la morphine, mais j’ai l’impression de planer au-dessus de la table d’opération. Les chefs de la meute bipède sot en rang serré devant le hublot qui surplombe la salle d’opération : une meute de chiens de chasse avant l’ouverture. Patte Trique est aux commandes. Ils sont concentrés, ils espèrent gagner de l’argent. Ma vie et la subvention du labo sont entre ses pattes.

            Je peux voir qu’il me regarde avec quelque chose qui ressemble à de la tendresse, il y a des moments où l’on se raccroche vraiment à n’importe quoi.

            D’ailleurs, je ne me raccroche pas longtemps : quand ils ont commencé à me découper un carré sur l’occiput, mon Surmoi s’est grouillé de tourner dur Suroeil.

            Quand je me suis réveillée, j’avais la gueule de bois et la sensation que ma tête avait changé de matière. Autour de moi, je voyais bien l’équipe qui s’était regroupée en cercle, attendant ma réaction. A voir leurs sourires, je me suis dit qu’eux au moins étaient contents. Mais c’est quand j’ai vu ma tête dans le reflet de la gamelle d’eau, que j’ai eu un choc : je ressemblais de moins en moins à Milou, mais de plus en plus à un Aibo, (le chien robot en plastique à capteurs de chez Sony (N.d.E.)) version blanc cassé. Une version plastifiée de mon ancien moi. Pour fêter ça, je me suis évanouie. A mon deuxième réveil, je comprends autre chose : désormais, je décrypte les informations qui circulent sur les écrans d’ordinateurs qui entourent la table sur laquelle on m’a posé. Je sais donc lire, et plus curieux, j’ai le sentiment qu’avec mon museau et ma patte droite, je pourrais faire un tas de choses qui ne m’avaient jamais traversé mon chien de cerveau. Plus fort encore, comme j’ai toujours compris les cris des animaux, je comprends les machines. J’entends le central se plaindre de surmenage, un petit portable raconter son ouikend à la mer où il a failli mourir d’humidité, et étouffer avec les grains de sables entrés dans son clavier. Bon, bon, très bien, je parle désormais l’informatique.

J’en profite pour poser une ou deux questions à l’appareil placé au dessus de mon lit, « Salut, moi c’est électrocardiogramme », me dit l’écran à boutons. Il a l’air plutôt sympa, mais quelque chose me dit qu’on ne peut pas se confier à la première machine venue. C’est à ce même moment que je réalise que les clefs du labo sont posées sur la petite table qui jouxte mon lit. Je les reconnais, un trousseau de gardien, avec son porte-clefs made in Lourdes. Dans mon cerveau, ça va beaucoup plus vite qu’avant, je comprends qu’il faut que je fasse quelque chose, là, maintenant et plutôt vite. Je connecte mes neurones neufs dans le bon ordre, et je décide en quelques secondes de me carapater. Avec mes nouvelles mâchoires en plastique armé, je ne fais qu’une bouchée des sangles qui me maintiennent couchée. Je prends dans ma gueule les clefs, et je les lâche dans la cage de Queen Kong : lui, il saura quoi faire, moi, je vais me faire prendre si je traîne trop par ici. C’est rudement commode de savoir lire, c’est comme ça que j’ai trouvé la sortie : parce que c’était écrit au dessus de la porte.

            Dehors, Patte Trique m’attendait. Il m’a offert un collier et de partager sa vie. Il a une maison de campagne et une compagne dans sa maison, mais l’un dans l’autre on s’entend bien. Et puis il a Internet. Je pirate tous les labos qui font encore des tests sur les animaux, et avec des copains humains, on prépare de grandes choses. Et pour me délasser, je traîne ma flemme sur les forums de rencontres : j’ai un succès fou, ils adorent mon petit côté chienne. Nos amis les hommes sont vraiment bêtes, et ça trombe très bien. Sur internet personne ne sait que vous êtes un chien.

Nouvelle extraite du livre " Une soirée entre filles"

Publicité
Commentaires
Publicité
Publicité