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Armoise
3 février 2009

"Tiburce, le chat qui démasqua l'assassin" - Philppe Ragueneau

Dimanche, 17 heures

      Sébastien fit trois pas en arrière pour juger le travail :

-         Non, ça ne va pas, ça… Trop sombre, ce ciel !

Ou alors mes lavandes sont trop lumineuses…

      Depuis huit jours, il peinait sur cette toile. Un pari. Evoquer de mémoire, et avec le seul secours d’une carte postale en couleurs, l’abbaye de Sénanque et son champ de lavandes, un par. Et pourtant il fallait en venir à bout. L avait promis douze toiles à Silverstein et la date du vernissage approchait.

-         Ne me mettez pas que du Paris, avait recommandé le marchand. Je voudrais quelques belles tâches de lumière sur mes cimaises, des paysages de Provence, par exemple, comme vous savez les traiter, vous voyez ce que je veux dire ?...

Il ne manquait que cette toile-ci pour faire le compte. Les autres, Sébastien les avait peintes l’été dernier, entre Oppède-le-Vieux et le Lourmarin.

Il posa son pinceau, soupira et s’essuya les mains avec un chiffon.

Le chat Tiburce, assis sur sa queue, semblait apprécier, lui :

-         Moi je trouve ça bien.

Ici, une petite parenthèse s’impose. Si l’on n’a pas lu Tiburce, le chat qui parlait comme vous et moi, on s’étonnera sans doute d’entendre un chat formuler une opinion aussi tranchée. D’aucuns seront même tentés de penser que si ce sérieux ouvrage débute par une faribole, la suite a de bonnes chances d’être n’importe quoi.

Alors, si vous le voulez bien, mettons les choses au point tout de suite.

Tous les chats parlent. Plus ou moins distinctement, mais ils parlent. Certains, peu et rarement, d’autres d’abondance. Mais les greffiers ne mettent en vitrine les richesses de leur vocabulaire qu’au bénéfice de ceux qui font un petit effort pour les comprendre.

Les autres devront se contenter d’un « miaou » passe-partout, et salut Berthe. Il faut savoir en effet – et cela a été scientifiquement prouvé – qu’un chat dispose d’une gamme de soixante-neuf sons différents dont chacun exprime un sentiment, une émotion, une requête, un refus ou une sensation spécifique. Il convient ensuite d’y ajouter les mouvements de la queue, des oreilles et des vibrisses qui ont tous une signification précise et sont très éloquents pour qui sait les interpréter. Tout cela, enfin, est complété par les expressions du regard et une gestuelle aussi complexe que précise. Cela constitue, on en conviendra, au titre de le communication « chat-bipède », une jolie panoplie de truchements.

Pendant des mois, Sébastien avait écouté, annoté et répertorié les vocalises que lui adressait Tiburce dont tout le monde s’accordait  à dire qu’il était aussi bavard qu’une pipelette espagnole. De même Sébastien avait-il réussit à donner un sens aux mimiques et aux signaux corporels de son compagnon. A l’inverse, Tiburce, comme beaucoup de chiens et de chats, comprenait les mots simples des bipèdes. Mais comme il était particulièrement doué et que les deux compères dialoguaient sans arrêt, il avait été nettement plus loin  que la moyenne des raminagrobis en assimilant les subtilités de langage qui échapperaient à bien des gens. Si bien qu’au terme de ces patients exercices et d’une longue pratique, l’un et l’autre se trouvaient disposer de dictionnaires personnels : « chat-français » ou « français-chat », lesquels comportaient le plus clair de ce que l’on est amené à se dire dans un quotidien banal et sans prétentions philosophiques. Pour être tout à fait franc, précision qu’avec Tiburce, Sébastien n’en était plus aux prémices d’une initiation à la pratique d’une langue étrangère. Le maison familiale, à Manosque, regorgeait en effet de chiens et de chats et les greffiers de son enfance s’étaient très tôt chargés de son éducation. Il avait pu ainsi observer que deux chats n’expriment pas exactement de la même manière une petite phrase telle que « je voudrais sortir » ou « cette bouffe est immangeable » : de fines nuances dans le jeu des cordes vocales les distinguent l’un de l’autre. De même un bipède, né natif de Marseille, pimentera de son accent chantant ce qu’un chtimi de Roubaix exprimerait d’une voix de gorge.

Cela étant posé, si les sceptiques s’obstinent à douter, je leur conseille de refermer ce livre sans plus tarder et de l’offrir à leur voisin de palier qui lui, peut-être, ne s’encombre pas le cerveau d’idées toutes faites. Avec ceux qui restent, je vais pouvoir reprendre tranquillement le fil du récit.

Or donc le chat Tiburce ayant signifié que, lui, « trouvait ça bien », Sébastien lui répondit :

-         Tu es bien indulgent, aujourd’hui.

Puis il consulta sa montre :

-         Cinq heures seulement, et je n’ai presque plus de lumière !

C’est ça l’hiver. Les journées sont avares, les soleil flemmard, et la grande verrière de son troisième étage ne dispensait plus qu’une lueur glauque qui sentait déjà la nuit.

P1000834

  Eh Kantilly! - Madeline -

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